jeudi 21 avril 2011

Le Paradis terrestre : la liberté sans la connaissance

Les Conservateurs bénéficient d'un appui sans précédent au Canada pour un parti dont les valeurs vont à l'encontre des traditions d'entraide et de tolérance qui sont si chères aux Canadiens. Comment expliquer ce phénomène?
Il  y a le discours sécuritaire, bien sûr, qui fonctionne toujours très bien dans le climat de psychose où nous sommes plongés depuis les attentats du 11 septembre 2001. Il y a le discours économiste qui profite, lui, de la peur causée par la crise financière mondiale de 2007-2010. Mais si on met de côté les discours sécuritaire et économiste, il ne reste rien pour plaire aux Canadiens. Les Conservateurs ne respectent pas le parlement. Ils n'aiment pas que l'État offre des services publics. Il minimisent l'importance de l'écologie. Alors qu'est-ce qui peut bien expliquer leur succès?
Je n'adhère pas aux explications habituelles. C'est vrai, on  brandit le spectre du séparatisme et on dépeint le Québec comme un fardeau financier. Outre le fait que ce soit contradictoire, je ne pense pas que les Canadiens en soient dupes. Les Conservateurs, ayant reconnu la nation Québécoise et comptant sur des appuis dans la vieille capitale, sont en bien mauvaise position pour s'opposer aux revendications du Québec. Si les Canadiens voulaient mettre le Québec en échec, les Libéraux récolteraient un bien meilleur appui, étant donné sa tradition centralisatrice. Je ne crois pas que les Libéraux soient encore hantés par le scandale des commandites. Bien de l'eau a coulé sous les ponts depuis et les Conservateurs ne l'ont pas évoqué dans la campagne actuelle, avec raison.
Dans le sondage de ce matin, on observe une montée des intentions de vote pour le NPD. J'ai beaucoup de sympathie pour le parti Vert, mais c'est le NPD qui est l'«underdog» de cette campagne, avec une chance non négligeable de participer au prochain gouvernement. En fait , je pense que ces appuis au NPD sont les premiers signes d'un repositionnement de la population canadienne. Ça mérite qu'on s'y attarde.
Autrefois nous avions une opposition entre deux partis centristes, les Progressistes-Conservateurs et les Libéraux. Par la suite est apparue une opposition (bien inégale) entre les Libéraux fédéralistes et le Bloc Québécois souverainiste. Et maintenant, la polarisation des Canadiens est moins bien représentée par les partis en place. Je crois que nous avons d'une part des Canadiens qui désirent un retour à un Canada sympathique et accueillant, le «good guy» des relations internationales. Et d'autre part, nous avons des Canadiens séduits par l'idéologie libertarienne avec ses promesses de richesse et de libertés individuelles.
L'idéologie libertarienne, bien implantée aux États-Unis, veut réduire le rôle de l'État à son strict minimum, en laissant tout juste assez de gouvernement pour pouvoir faire régner la loi et l'ordre et être en mesure d'assurer la défense du territoire. Dans l'État libertarien, il n'y a pas de groupes de pressions, pas de préjudices. Chacun fait ce qu'il veut, vit comme il le veut. Et si un individu a une idée originale qu'il veut mettre à profit, aucune réglementation ne l'empêche de suivre son rêve et de prospérer. Il n'y a pas besoin de filet social, parce que les gens entreprenants sont nombreux, deviennent riches et donnent généreusement aux organismes de charité de leur choix. Tout s'équilibre et personne n'est laissé pour compte. L'utopie du paradis terrestre, en somme.
Les Conservateurs sont fortement influencés par l'idéologie libertarienne et le Canada abrite son lot de centres proches des libertariens américains.  L'Institut Fraser en est un des plus connus. Je me suis rendu compte des liens qui unissent l'Institut Fraser au gouvernement Harper quand j'ai voulu savoir pourquoi monsieur Munir Sheikh avait démissionné de son poste. Monsieur Sheikh était le statisticien en chef de Statistique Canada et a remis sa démission suite à la parution dans les journaux des déclarations du gouvernement Harper disant que Statistique Canada appuyait les changements apportés au recensement. J'ai écrit en septembre 2010 au gouvernement pour avoir des explications à ce sujet. J'ai reçu une réponse de la part du ministre de l'Industrie, Tony Clement, mais elle était évasive. En lisant les transcriptions des travaux parlementaires et du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie, j'ai réalisé à quel point les Conservateurs étaient méfiants envers les scientifiques. Je me suis rendu compte aussi que je n'étais pas le seul à avoir écrit au gouvernement pour lui demander de s'expliquer. Quelle a été l'argumentation de monsieur Clement en Chambre pour expliquer ce déluge de courrier? Il a dit que c'étaient des groupes qui voulaient profiter des données de Statistique Canada, en laissant entendre que ce n'était pas justifié. Où retrouve-t-on cette idée? Sur le site de l'Institut Fraser, pardi.  Niels Velduis et Charles Lammam pointent du doigt les «personnalités académiques, économistes et autres scientifiques des sciences sociales» à travers le pays qui profiteraient indument de l'existence des données recueillies dans le questionnaire long. En tant que mathématicien soucieux du bon fonctionnement de Statistique Canada, me voilà donc désigné comme un Étatiste suspect. Elle est bien bonne, celle-là.
Pourquoi une telle aversion pour la connaissance? Peut-être qu'inconsciemment, les Conservateurs souhaitent qu'Ève n'ait jamais fait croquer la pomme à Adam. Ils chercheraient alors à écarter tout ce qui les éloigne de l'innocence originelle du jardin d'Éden.
Les libertariens ont fait des petits au Québec. Sans parler du Réseau Liberté-Québec, les idées libertariennes ont été adoptées en tout ou en partie par le PLQ, le PQ, l'ADQ et la Coalition pour l'avenir du Québec. Rien de surprenant étant donné l'attrait exercé par les idées libertariennes sur la population. Le Bloc Québécois, qui a réussi à ménager la chèvre et le chou jusqu'à maintenant, va devoir répondre à Jack Layton, lui qui s'est naturellement positionné dans le camp opposé aux libertariens.
Le 2 mai, allez voter! J

1 commentaire:

  1. On m'a demandé d'éclaircir le lien entre la philosophie libertarienne et la décision de diminuer la collecte d'informations de nature sociale dans le recensement. J'essaie de me mettre à la place de Tony Clement et je propose l'explication suivante. J'invite l'intéressé à corriger mon raisonnement si je me trompe.

    Les groupes d'intérêt qui se servent des données sociales de Stat Can militent à l'encontre des libertés individuelles. Comme Stat Can relève du ministère de l'industrie et donc du gouvernement, la philosophie libertarienne exige que le ministre de l'Industrie demande à Stat Can de réduire sa collecte d'informations de nature sociale.

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