vendredi 23 septembre 2011

Mémoire présenté à madame la Ministre Christine St-Pierre (II)

Mémoire de François Genest soumis dans le cadre de la consultation :

 «Pour une information au service de l'intérêt public»
(suite)


23 septembre 2011

La consultation publique


Remarques préliminaires
                          
J'ai lu attentivement le rapport L'information au Québec : un intérêt public, le rapport de la FPJQ (notamment les commentaires anonymes de professionnels de l'information) et le rapport du CPQ. Toutefois, je n'arrive pas aux mêmes conclusions que vous sur plusieurs points importants. Voici deux affirmations que je remets en question :

1) «Il importe donc de distinguer les journalistes professionnels, qui doivent être au service de l’intérêt public, des communicateurs ou des blogueurs amateurs.»

Cette affirmation est basée sur l'hypothèse que les citoyens sont incapables d'évaluer par eux-mêmes la qualité des sources d'informations disponibles. Je rejette cette hypothèse et j'explique la popularité exagérée d'opinions infondées par l'efficience des moyens de persuasion institués dans les médias à des fins de rentabilité et face une concurrence ayant accès aux mêmes moyens. Je suis convaincu que tous les citoyens sont capables d'évaluer la qualité des informations qu'on leur présente en autant qu'ils aient un accès facile à une information complète. La création d'un titre pour les journalistes de métier, que ce soit «journaliste professionnel» ou autre, ne comporte en soi aucune garantie de qualité de l'information produite en regard du droit du public à l'information. Le titre spécifique de «journaliste professionnel» invite au contraire les citoyens à croire que les informations provenant d'autres sources ont intrinsèquement moins de valeur.
                                                                                   
2) «Les journalistes professionnels doivent être soumis au respect de normes déontologiques élevées afin d’assurer la fiabilité et la qualité de l’information diffusée.»

Cette affirmation est basée sur l'hypothèse que les journalistes de métier ne sont pas portés spontanément à élaborer et respecter des normes acceptables dans le cadre la démocratie québécoise. Je rejette cette hypothèse et j'explique les comportements répréhensibles et antidémocratiques de certains journalistes de métier par leur ignorance personnelle et l'astuce utilisée par les entreprises de presse de les présenter comme autre chose que des journalistes de métier. Je suis convaincu que les citoyens savent faire la différence entre les journalistes qui produisent des informations appuyées par des raisonnements explicites et les journalistes qui s'en tiennent essentiellement à la promotion d'opinions. Un organisme ayant la responsabilité de mettre à jour et de faire respecter des normes pour les journalistes de métier qui utiliseront le titre protégé ne permet d'aucune façon de garantir la qualité des journalistes de métier qui n'utiliseront pas le titre protégé. De plus, un tel organisme aura une légitimité discutable si son fonctionnement est financé par des intérêt extérieurs au milieu des journalistes de métier. Finalement, le financement d'un tel organisme par l'État québécois est à toutes fins pratiques indéfendable dans notre démocratie étant donné les contextes juridique et économique dans lesquels se trouve le Québec actuellement.

En résumé, je n'accepte pas les hypothèses retenues pour justifier la nécessité d'un projet de loi mais je suis en accord avec votre souhait initial. Des actions doivent être prises afin de rehausser la qualité de l'information diffusée par la presse. Nous nous entendons sur le besoin essentiel et le droit primordial du public à une information de qualité et sur la nécessité d'une intervention en vue de garantir ce droit. Vous conviendrez avec moi que les journalistes de métier ont le besoin et le devoir de travailler dans des conditions leur permettant de produire de une information de qualité. Là où nous divergeons d'opinion, c'est sur la véritable raison pour laquelle des journalistes de métier souhaitent une protection institutionnelle. Pour ma part, il s'agit de la précarité de leur situation.

La réalité telle que je la perçois : la Justice

Les journalistes de métier ont besoin d'être protégés contre les poursuites abusives comme celle instituée à l'encontre de monsieur Daniel Leblanc il y a quelques années. Bien que ce dernier travaille en Ontario, les journalistes québécois ne sont pas à l'abri de poursuites semblables. Il est possible qu'un statut professionnel puisse servir de défense devant les tribunaux, mais (dans le cas de monsieur Leblanc) la Cour a clairement exprimé qu'elle ne renoncera pas à l'exercice de son jugement. Ni la Charte des droits et libertés, ni un statut professionnel ne peuvent l'exempter de son devoir de veiller à la protection réelle du rôle de l'information en tant que garante du bon fonctionnement de la démocratie.

De plus, du point de vue juridique, un statut protégé par un organisme subventionné ouvre la porte à des poursuites judiciaires à l'encontre de cet organisme et à l'encontre du gouvernement. Le contexte juridique actuel démontre que de telles poursuites sont régulièrement entreprises par des particuliers et financées jusqu'en Cour Suprême. Ceci est particulièrement flagrant dans le domaine de la santé.

La protection juridique des journalistes a traditionnellement été assurée par les entreprises de presse qui les emploient. Le tarissement des sources de revenus venant du monde des affaires (la publicité) compromet cette protection et, malheureusement, ce tarissement des revenus est un phénomène structurel. La question qui s'impose à vous, c'est : comment le gouvernement peut-il contribuer à la protection juridique des journalistes? À mon point de vue, un statut protégé, qu'il soit de nature professionnelle ou non, ne contribue en rien à une réponse à cette question.
                                      
La réalité telle que je la perçois : la Liberté

Afin de subvenir aux besoins de la démocratie québécoise, les journalistes de métier ont le devoir de produire une information de qualité. Ce devoir implique l'obligation de ne pas céder aux tentatives de contrôle de l'information de toutes sortes auxquelles ils sont régulièrement confrontés. Leur travail nécessite une grande liberté d'action et de parole. Ces libertés sont actuellement compromises par des considérations économiques personnelles : les journalistes de métier ont des besoins primaires à combler (tels que manger et s'abriter, pour ne nommer que ceux-là). La perspective d'être privés de revenus personnels en raison du tarissement du financement des entreprises de presse est une réalité qui ne peut pas être ignorée par les journalistes. Les conditions de travail des journalistes de métier ont traditionnellement été protégées par l'institution de syndicats. Cependant, même les journalistes syndiqués (à un moindre degré) voient leur liberté d'action et leur liberté de parole compromises en raison des changements structurels dans les médias.

Un statut protégé permettrait l'utilisation de contrats standards garantissant des conditions de travail minimales à respecter de la part des entreprises de presse. Cette approche fonctionne bien pour les artistes et c'est l'approche privilégiée par madame Dominique Payette. D'un point de vue légal, les artistes et les journalistes se ressemblent beaucoup. Tout citoyen peut légalement utiliser le titre de journaliste ou d'artiste sans avoir obtenu la reconnaissance d'une autorité reconnue. Tous les artistes bénéficient de l'existence de l'Union des artistes qui permet l'émergence d'un consensus autour des conditions minimalement acceptables pour l'emploi des artistes. Certains artistes acceptent des contrats qui ne sont pas «Union», mais ils le font en toute connaissance de cause et ne s'en vantent pas. Par ailleurs, aucun employeur d'artiste ne souhaite la mauvaise publicité d'être montré du doigt pour avoir imposé des contrats aux conditions inférieures à celles des contrats «Union».

Ainsi, un statut protégé et non obligatoire est nécessaire pour les journalistes. Cependant, l'approche organisationnelle que vous prônez comporte son lot de dangers et ajoutera à la confusion du public, surtout si vous instituez la notion de professionnalisme à même le titre du statut.

Je vais donc répondre à vos questions en substituant «journaliste de métier» à «journaliste professionnel», en espérant que vous accèderez à ce changement.

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