samedi 26 janvier 2013

Fondements des occupations de quartier de Montréal

Dans ce texte, je décris dans quel esprit les occupations de quartiers de Montréal ont été expérimentées en 2012.


Fondements des occupations de quartiers de Montréal

par François Genest

25 janvier 2013

Introduction

Dans le but de communiquer l'expérience vécue à Montréal et afin de permettre à d'autres de se donner du pouvoir sur leur destin collectif, je partage ici mon point de vue sur le mouvement social mondial actuel et comment les occupations de quartiers s'inscrivent dans ce grand courant. Je ne mets pas l'accent sur des recettes précises, puisque chaque localité a ses propres forces et un contexte politique et social qui lui est particulier, connu par les habitants eux-mêmes. Je me limite donc à brosser un portrait général de la genèse des occupations de quartiers à Montréal, apparues dans la continuité de l'expérience marquante du mouvement Occupy. Je termine en faisant le rapprochement entre ces occupations de quartiers et des événements de rencontre et de partage de connaissances issus d'autres mouvements sociaux.

L'évolution sociale contemporaine

Les idées contenues dans ce texte sont les miennes. Je ne suis pas un spécialiste de la sociologie ni de la science politique. Si mes idées rappellent celles d'auteurs ou penseurs de ces domaines, il ne s'agit pas d'un choix délibéré de ma part. Par ailleurs, certaines lectures philosophiques m'ont certainement aidé à clarifier ma pensée, notamment l'œuvre de Platon et des écrits de Francesco Alberoni et de René Girard. De Platon, je retiens l'importance de porter attention au sens des mots dans le dialogue avec autrui. D'Alberoni, je reconnais l'existence de phénomènes émotifs ressentis collectivement par les acteurs des mouvements sociaux. De Girard, je retiens la certitude que la violence collective n'est pas une fatalité qui accompagnera à jamais la vie humaine.

Mes connaissances sur le sujet sont d'abord et avant tout pratiques et mes réflexions se basent sur mes expériences vécues dans les mouvements sociaux contemporains qu'ont été le mouvement des Indignés et le Printemps Érable québécois.

J'établis volontiers un rapprochement entre les mouvements collectifs qui sont apparus au cours des dernières années et je les conçois comme les vagues d'un mouvement plus vaste, disons une évolution sociale de nature comparable au mouvement des droits civiques et au mouvement des femmes. Comme dans ces deux cas précédents, le mouvement actuel vient de la base et essaie activement de changer des idées profondément ancrées dans la conscience collective. Grâce au mouvement des droits civiques, c'est l'idée que des minorités puissent être légitimement écartées des décisions politiques qui a été battue. Dans le cas du mouvement des femmes, c'est l'idée que tous les sexes doivent avoir accès au pouvoir politique qui s'est imposée. Si des retours en arrière peuvent être observés, ces mouvements ont eu l'effet indéniable de faire évoluer la pensée politique moderne.

Le mouvement actuel est animé par les actions d'étudiants, d'autochtones, de gens vivant dans la rue, d'intellectuels, de travailleurs, de retraités, d'artistes. Une véritable pluralité est en action pour se faire voir et entendre. S'il est difficile de caractériser le mouvement et de cerner l'évolution en cours, il porte clairement des valeurs d'entraide et de dignité humaine dans lesquelles je me reconnais.

Pourquoi le mot «occupation»?

Le mot «occupation» a une forte connotation négative. Il évoque la conquête guerrière, la soumission des peuples, la colonisation des terres occupées. Le mouvement spontané Occupy a remis en question cette acception de façon spectaculaire en 2011.

Dans un premier temps, en occupant physiquement des lieux publics symbolisant le modèle politique et économique mondial actuel, c'est la soumission passive qui a été rejetée. Le message lancé à la population était simple : «apportez une tente». Le mot «occupation» s'est par le fait même enrichi du sens de la réappropriation des espaces publics par la population.

Dans un deuxième temps, ce sont les conflits humains qui ont été attaqués de front. Des activistes ayant participé aux luttes antérieures — les manifestations à l'occasion des grands sommets politiques et économiques internationaux — et des gens peu politisés mais animés de la même soif de paix et de justice se sont côtoyés et ont tenté ensemble, en tenant compte des parcours de vie très différents de chacun,  de se parler ouvertement et de surmonter les divergences d'opinions. Il est apparu clairement que, pour s'entendre, il fallait remettre en question nombre d'idées préconçues. Il fallait réapprendre à se parler, sans sauter aux conclusions hâtives. D'une certaine façon, chacun était invité à mettre plus de conscience dans ses paroles et des actions : à «occuper» son esprit. Bien que cette idée ne soit pas nouvelle — puisqu'elle est à chaque fois redécouverte dans les mouvements sociaux naissants — elle s'exprime de façon fort heureuse dans le mot «occupation». 

Si les efforts déployés dans la discussion ont eu, pour l'instant, peu de résultats mesurables, la solidarité dans l'action a, quant à elle, tissé des liens solides. En nourrissant des milliers de personnes chaque jour, en recevant les dons de la population, en distribuant des vêtements et de l'équipement, en surveillant les campements la nuit, en projetant des films, en créant de nouveaux réseaux de communication, en accueillant des groupes musicaux et des conférenciers, le mouvement Occupy a rapproché le mot «occupation» du sens qu'il porte dans l'expression : «s'occuper les uns des autres».

Utiliser le mot «occupation» pour les événements festifs non permanents qui sont proposés ici relève du choix conscient de rappeler le signifié bénéfique que les mouvements sociaux ont donné à ce mot dans l'imaginaire collectif.

Les écueils rencontrés par Occupons Montréal         

L'occupation du square Victoria a connu de grands succès au départ. Les organisateurs initiaux se sont rencontrés sur un pied d'égalité; ils et elles répondaient tous et toutes à l'appel de faire, à travers le monde, des occupations en appui à Occupy Wall Street. Les nouveaux occupants, au fur et à mesure qu'ils sont arrivés, ont été considérés comme décideurs à part entière. L'absence de hiérarchie a très bien fonctionné pour les actions concrètes, comme la mise sur pied d'un campement, d'une cuisine collective, d'une bibliothèque.

Il y a eu une grande couverture médiatique et un large appui populaire. De nombreuses solidarités se sont crées localement et globalement. De l'information et des ressources ont été partagées. De nouvelles initiatives populaires sont apparues, notamment un groupe de journalistes citoyens engagés, une chorale de chansons à textes politiques, une cuisine mobile, un laboratoire d'idées, un marché gratuit.

En arrivant à maintenir le campement durant six semaines, l'action Occupons Montréal a touché les cœurs et marqué les esprits.  Cependant, cette longue durée a mis en lumière plusieurs problèmes qu'il n'a pas été possible de surmonter.

Malgré tout le temps et les efforts déployés à cette fin, il s'est avéré impossible d'élaborer un processus structuré de prise de décisions par consensus qui fasse l'unanimité. La formule qui s'est imposée de facto sur le campement, calquée sur le modèle d'Occupy Wall Street, a été délaissée par une bonne partie des occupants et aucune modification tentée par la suite n'a permis de trouver une façon de faire qui puisse être concrètement adoptée par le mouvement local.

Le centre-ville de Montréal comprend une forte population de personnes vivant dans la rue. Beaucoup d'entre eux se sont sentis bien à Occupons Montréal et se sont installés dans le campement. Leur proportion a augmenté avec le temps et comme une forte proportion des gens de la rue sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou ont des comportement sociaux avec lesquels il est difficile de  composer, l'appui de la population a diminué et plusieurs occupants se sont épuisés à faire du travail social, surtout la nuit.

Qu'est-ce qu'une «occupation de quartier»?

L'action d'occuper un lieu est une tactique éprouvée pour capter l'attention et se faire entendre. Le mouvement Occupy a suscité une énorme couverture médiatique en 2011 et a réussi par son action à faire revenir dans le discours public le problème de la répartition de la richesse. Plus d'un an après le mouvement, l'expression '1%' est toujours présente dans l'usage populaire. Si les actions d'entraide du mouvement Occupy ont fait moins grande impression — en raison des problèmes logistiques, des conflits de personnalité et de l'épuisement des participants — on retrouve sans peine cette solidarité chez les participants du mouvement du Printemps Érable en 2012 et on les reconnaît maintenant dans le mouvement autochtone Idle No More. D'après ce que j'ai pu en lire, ce sont les mêmes élans qui animaient les Indignados en Espagne.

Une occupation de quartier est une action d'occupation d'un espace à usage public initiée par et pour les habitants d'un quartier et qui tend vers cet idéal d'entraide commun aux mouvements récents, tout en évitant les écueils qui ont été rencontrés par le mouvement Occupy lors des occupations permanentes de 2011.

À l'instar des occupations permanentes de 2011, une occupation de quartier est une initiative qui part de la base et qui n'installe pas de hiérarchie entre les participants. L'accent est mis sur une mise en commun des talents et les participants qui choisissent de s'impliquer initialement s'entendent simplement sur les tâches à accomplir et sur leur répartition en prévision de l'événement. La durée, la formule, les activités lors de l'événement peuvent varier selon les besoins et les intérêts des gens du quartier. On ne cherche pas à épater, mais on donne forme à l'espace pour que les participants puissent comprendre facilement quelles sont les activités possibles et comment retrouver les autres participants.

L'expérience montréalaise des occupations de quartiers

À Montréal, on a laissé une grande place à l'auto-programmation des activités en invitant la réutilisation d'une page web (sur la plate-forme Meetup.com) mise sur pied initialement pour la réoccupation temporaire du square Victoria en mai 2012. À chaque occasion, on a contacté les organismes communautaires du quartier, des groupes citoyens, des artistes. On a produit des affiches et des tracts pour annoncer l'événement. Lors de l'événement même, on s'est assuré que les participants avaient les bonnes conditions pour faire leurs activités et on a répondu aux questions des curieux. Le résultat a été différent dans chaque quartier, chaque événement ayant pris une couleur locale, mais les réactions ont toujours été très positives. Les dons étaient acceptés sur place mais la plupart des ressources venaient des participants eux-mêmes et des gens du quartier.

Le mouvement né de l'occupation du square Victoria — rebaptisée Place du peuple par les occupants — est devenu un réseau. Des rencontres mensuelles sont organisées pour le partage d'informations et la présentation d'initiatives personnelles, ce qui permet de conserver une certaine cohésion et constitue peut-être le début d'un processus organique de prise de décisions collectives.

Autres expériences d'intérêt à Montréal

Des événements organisés lors du Printemps Érable et dans le cadre du mouvement Idle No More s'inscrivent dans le même esprit que les occupations de quartier de Montréal. Le printemps dernier, dans des lieux publics, il y a eu des séances de yoga, des activités de tricot, des ateliers de création artistique. Aujourd'hui, en marge des manifestations, des Teach-Ins s'organisent au cours desquels des autochtones de nations diverses et des non-autochtones sont invités à partager leurs connaissances sous forme de témoignages.

Conclusion

On a vu que les occupations de quartiers sont apparues dans la continuité des occupations permanentes de 2011. Alors que ces dernières ont été largement couvertes par les médias, les occupations de quartiers attirent moins l'attention, ce qui ne les empêche pas d'offrir les mêmes occasions de rencontre et d'entraide. En étant temporaires, les occupations de quartiers sont mieux perçues par les autorités et sont peu propices aux conflits. Ce sont des formes d'activisme favorables aux discussions et elles sont suffisamment générales pour que toute localité puisse se les approprier facilement en les adaptant à sa situation particulière. Elles donnent du courage et favorisent la solidarité, n'hésitez pas à les expérimenter.

Remerciements

Je tiens à remercier les participants d'Occupons Montréal ainsi que les membres du laboratoire Idées de la Place du peuple pour leurs précieux commentaires.