dimanche 13 avril 2014

La souveraineté du Québec

Leçon d'anatomie à l'aide d'une grenouille
Bien que je sois né aux Pays-Bas, je suis un enfant de la mondialisation. C'est-à-dire que je suis de culture québécoise et que j'ai grandi là où la profession de mon père menait notre famille nucléaire moderniser l'industrie de l'assurance. Ma langue maternelle est le français. J'ai appris l'anglais une première fois dans une garderie Montessori de Brossard tenue par une enseignante d'origine indienne, puis une deuxième fois lorsque ma famille s'est définitivement installée au Québec tout juste après un séjour de quatre ans dans la région parisienne pendant lequel j'ai été imbibé par la langue et la culture française. J'ai donc été Québécois d'abord par mes parents, puis j'ai été socialisé comme Français dans mon enfance et je suis redevenu Québécois pour de bon dans les années 1980 au cours d'une période d'intégration de l'âge de 9 ans à l'âge de 14 ans.

Mon point de vue sur le Québec est enrichi par mon expérience de vie peu banale et ce point de vue est profitable, je crois, à toute personne souhaitant faire un examen radical de la question de la souveraineté, comme beaucoup de Québécois sont amenés à le faire ces jours-ci aux lendemains de la cuisante défaite d'un parti dont la raison d'être est de faire du Québec un pays. Permettez-moi de partager avec vous mes réflexions sur le sujet.

Il existe un peuple Québécois avec une culture nourrie à de multiples sources, mais distincte de celle des autres peuples. Ce peuple est pour moi une évidence puisque j'ai travaillé longtemps à m'y intégrer. Bien que les Québécois partagent la langue française avec d'autres régions du monde, il y a des différences culturelles significatives et spécifiques aux Québécois dans l'usage de cette riche langue internationale. Le peuple Québécois a l'aspiration légitime et commune à tous les peuples de vivre en liberté, sans la tutelle ou la domination d'une volonté extérieure.

L'idée de la souveraineté du Québec est largement tributaire de ce besoin d'autodétermination frustré maintes fois dans l'imaginaire québécois par la domination des Anglais, de l'Église catholique, des Canadiens. Cependant, la souveraineté n'est pas identique à l'autodétermination. La souveraineté est une chose politique qui est instituée par les humains en réponse au besoin d'autodétermination des peuples. J'appuis bien sur les mots : «en réponse». Pour bien comprendre la souveraineté, il est essentiel de réaliser qu'il s'agit d'une institution et, sur cette base, de s'intéresser à la conception de la souveraineté à notre époque.

Pour préparer le terrain — et pour donner un exemple d'examen radical d'une idée — je me tourne d'abord vers un dictionnaire étymologique[i]. Ce qui vient en tête de liste pour la souveraineté, c'est l'idée d'élévation, de sommet. On trouve aussi les idées : «pouvoir, puissance publique, peuple, nation, territoire, État, prééminence, domination ».  Le mot « souveraineté» est dérivé de « souverain », issu de l'ancien provençal : « sobran ». Ce qui est souverain est « suprême, excellent, au plus haut point dans son genre ». C'est aussi ce qui «règne», qui «exerce le pouvoir». La souveraineté est associée à l'idée de Dieu, « qui règne sur tout ».

On doit s'attendre à ce que l'idée de souveraineté évoque le « royaume » et le roi, certainement les premières institutions politiques après celle de la guerre. Ceci m'amène à la conception actuelle de la guerre, très bien décrite par Monique Chemillier-Gendreau[ii] dans son essai : « De la guerre à la communauté universelle ». Cette juriste émérite montre comment notre idée de la guerre ne correspond pas à la réalité et elle nous invite à repenser le droit international. Elle nous apprend que si Hugo Grotius, premier grand penseur du droit international, définissait la guerre comme « l'état de ceux qui tâchent de vider leurs différends par les voies de la force considérées comme telles », c'est plutôt un modèle interétatique qui s'est imposé dans cette discipline et qui a conduit à restreindre l'usage du mot « guerre » aux formes de violence entre États :

À partir du XIXe siècle, la doctrine à ce sujet est bien établie. La guerre est alors l'affrontement militaire de deux entités politiques qui se reconnaissent pour telles. Elle est identifiable en ce qu'elle s'ouvre par une déclaration de guerre (rendue obligatoire par la Convention III de La Haye du 18 octobre 1907) et repose sur le critère formel de la division du monde en États souverains. (…) La guerre est un fait. Elle est « un acte de violence destiné à contraindre l'adversaire à exécuter notre volonté », selon l'expression de Clausewitz, mais la volonté dont il est question ici est celle des États.

Froidement, un État souverain a le droit de faire la guerre, et ce droit est indissociable de la souveraineté. Cependant, l'expérience du XXème siècle et du XXIème siècle naissant nous indique qu'il y a des violences qui se produisent régulièrement en dehors de l'institution de la guerre interétatique et qu'on ne peut pas honnêtement dissocier de la guerre :

La frontière se fait imprécise entre l'affrontement de deux armées nationales que l'on nommerait « guerre » et d'autres formes de violence qui seraient différentes, comme celle qui amène deux individus à en venir aux mains, ou les groupes de supporters de deux équipes de football à entrer dans un déchaînement de violence, ou encore une minorité ethnique à organiser des manifestations violentes contre l'État auquel elle est intégrée contre son gré. (…) Ce que, pendant des siècles, la théorie des relations internationales a désigné sous le nom de guerre se fait de plus en plus rare.

La souveraineté du Québec portée par René Lévesque, la «souveraineté-association», était en phase avec l'esprit fondateur des Nations unies, dont l'ambition est d'interdire aux États la pratique de la guerre. Pour le premier chef du Parti Québécois, il s'agissait de faire un pays au sein duquel le peuple Québécois bénéficierait du principe d'égalité souveraine des membres de l'ONU. Cependant, Chemillier-Gendreau démontre comment ce principe est en contradiction avec l'interdiction du recours à la force et a l'effet paradoxal de protéger le droit des États à faire la guerre. On est amené à faire un constat d'échec de l'ONU:

Face à la multiplication des cas de recours à la force, le Conseil de sécurité s'est accommodé au fil des années d'une attitude de rodomontades sans effet, demandant lors de chaque irruption de violence « un cessez-le-feu immédiat » qui, lorsqu'il a eu lieu, a rarement été le résultat de l'intervention de l'Organisation. De ce point de vue, et par cette reconnaissance fondamentale de la souveraineté, le système issu de la Charte se rattache encore aux catégories classiques du droit international.

Il y aurait encore beaucoup de sujets à aborder pour bien cerner l'idée de la souveraineté, dont celui des États issus de la décolonisation et de l'éclatement de l'Union soviétique ou encore celui de l'impact de la mondialisation sur les États. On ne peut pas projeter de faire un pays sans considérer le contexte politique mondial. Pour moi, en fin de compte, l'idée de souveraineté portée par le Parti Québécois ne résiste pas à l'analyse. Je ne sais pas ce que veut dire aujourd'hui : « la souveraineté du Québec », pas plus que « l'indépendance du Québec », et je ne connais personne qui soit en mesure d'en faire la promotion sans occulter le constat d'échec qui s'impose concernant l'Organisation des Nations unies.

Je pense que le Parti Québécois confond le Québec et le peuple Québécois. Le peuple Québécois vit sur les terres du Québec en relative bonne entente avec ses autres habitants, mais pas toujours, et tout projet de pays doit prévoir les modalités qui permettront de régler les conflits, tant internes qu'externes, si tel est le projet qu'un mouvement choisisse un jour de porter.

lundi 7 avril 2014

Mitshetuteuat


Marche de la Terre 2013, Montréal, François Genest

En langue Innu, Mitshetuteat signifie : «un grand nombre de personnes qui se déplacent ensemble». Tel était le nom du rassemblement de samedi dernier, organisé avec l'appui de SOS Territoire, du GRIP UQAM et d'autres organismes. Cette journée d'échanges a eu lieu dans un bâtiment de l'UQAM appelé la Chaufferie, une bonne augure, souhaitons-le, pour les relations entre les autochtones et les écologistes qui y étaient invités.

Sylphir, organisatrice d'événements artistiques et assistante aux communications pour l'occasion, a pris contact avec des aînés et a trouvé de l'hébergement pour les 12 grand-mères autochtones qui sont venues prendre la parole dans les cercles de discussions. Pour elle, l'environnement est quelque chose d'essentiel. « C'est une priorité pour l'avenir de l'humanité. Il faut en prendre conscience et être actif avec les Premières Nations, elles qui étaient là avant et qui connaissent la Nature. » Elle pense avoir des Mohawks dans sa parenté. « Au Québec, la majorité est métissée. On a une arrière-grand-mère ou un arrière-grand-père autochtone, mais c'était mal vu d'en parler. » 

Le matin a commencé avec un cercle d'une soixantaine de personnes. Cette partie de la journée était réservée aux intimes des autochtones et je me compte chanceux d'avoir pu y assister. Chacun à tour de rôle recevait le bâton de parole, se présentait et passait le bâton à son voisin de droite. Des gens se sont identifiés comme autochtones de différentes nations, comme Métis, comme Québécois, comme militants écologistes ou même simplement comme êtres humains. Puis s'est fait sentir le besoin de rétablir l'équilibre entre le masculin et le féminin et de donner la parole aux grand-mères qui, dans la conception autochtone, ont le rôle de protéger la Terre-Mère. C'était émouvant d'entendre ces femmes, avec leur force morale et leur dignité, parler de leurs savoirs-faire ancestraux et des menaces directes à leur habitat et à leur mode de vie.

Forêt de Colombie-Britannique, Wikimedia

L'après-midi était ouvert au grand public et il s'est formé de plus petits cercles d'une dizaine de personnes, chaque cercle comprenant au moins une grand-mère. Nous avions la consigne de les écouter avec respect et d'attendre qu'elles aient fini de s'exprimer avant de poser des questions. Dans mon cercle, j'ai eu la chance d'entendre une grand-mère Anishinabe traditionaliste qui ne parle ni français ni anglais. Jo Wawatie faisait la traduction de l'innu vers le français : « Imaginez l'effet sur mon petit frère de revenir chez lui au cœur de la forêt et de trouver sa maison sans aucun arbre alentour, parce qu'il y avait eu une coupe à blanc pendant son absence en l'espace de deux jours.» « Quand les compagnies forestières coupent à un endroit où les orignaux viennent habituellement se nourrir, elles ne s'en préoccupent pas. » Ces traditionalistes ont déjà été arrêtés et traduits en Cour. Leur présence gêne la mise en application des ententes de développement entre les compagnies forestières et le Ministère des ressources naturelles. En particulier, la compagnie Resolut, qui récolte dans le parc de La Vérendrye, a obtenu une injonction permanente contre toute personne qui gênerait le travail sur ses chantiers, une mesure qui vise directement la famille Wawatie et les traditionalistes qui vivent, se nourrissent et trouvent leurs médecines dans cette forêt.


La belle Lili au milieu du grand cercle de clôture. Photo Vincent-René

Quand je suis parti, la journée se poursuivait avec un souper et la projection d'un film. Mon sentiment au sortir de cet événement, c'était que les autochtones et les non-autochtones qui luttent pour l'environnement se sont reconnus et qu'ils savent qu'ils ne sont plus seuls.