jeudi 13 novembre 2014

Sur un sophisme de Foglia

Pouvez-vous identifier le sophisme dans le texte : « La Chasse à l'homme » de Pierre Foglia?

Le sujet brûlant de l'actualité est la révélation en chaîne de certaines violences intimes : viols et abus de pouvoir de la part d'hommes envers des femmes. Ce mouvement spontané permet de remettre à l'ordre du jour des comportements considérés (avec raison!) comme étant de nature systémique par une part importante de la société. Visiblement, ça dérange. C'est à son corps défendant que le chroniqueur Pierre Foglia se sent obligé de prendre la parole :

C'est ce climat un peu «Allemagne de l'Est» qui me fait revenir sur le sujet de l'heure même si, après les douloureuses affaires DSK et Polanski, je m'étais juré: plus jamais.

Il le fait pourtant et se positionne dans cette polémique. Il fait bien de rappeler que ce n'est pas la première poussée révolutionnaire sur ce terrain. Et quand un rassemblement spontané administre la justice, il n'y a pas d'appel possible. Mais malgré les dénonciations anonymes qui ont suivi son article, Foglia n'est pas un prophète. Lorsqu'il y a un emballement d'une telle ampleur, il est inéluctable que des gens soient intimidés et que des vies soient brisées. La question que son intervention soulève et qu'il élude, c'est : « Si les événements actuels sont une répétition du passé, avec la retenue en moins, qu'est-ce qui explique qu'on en soit rendus là? »

Foglia vise juste quand il parle de thérapie collective. Mais sans juger des retombées à long terme de ce mouvement, pourquoi s'est-il produit? Pourquoi tant de femmes l'ont-elles embrassé avec un soulagement visible?

Je ne prétends pas avoir la réponse et je suis sincèrement reconnaissant à Pierre Foglia d'avoir présenté ses arguments. Je n'aime pas, moi non plus, la personnalisation des luttes. Et ce, à un point tel que je ne vois pas l'intérêt de son appel général à des personnalités de genre féminin pour qu'elles défende publiquement le même point de vue que lui.

Si ce n'est pas encore fait, c'est le temps de lire l'article de Foglia pour identifier le sophisme. Et puis, l'avez-vous trouvé?

[Avertissement : gâte-plaisir ci-dessous]

Exactement ce genre de confusion entre dénonciation (d'une situation) et délation (la dénonciation d'une personne).

Félicitations si vous avez trouvé qu'il s'agit d'un appel à la popularité doublé d'un faux dilemme! En effet, la délation n'est pas simplement la dénonciation d'une personne, c'est une dénonciation inspirée par des motifs méprisables. (La délation est synonyme de calomnie ou de médisance. ) Ce n'est pas parce qu'un grand nombre de personne pensent que les motifs de la dénonciation d'une personne sont indignes d'attention que c'est correct de le penser. Et une fois ce sophisme enlevé, la phrase devient :

Exactement ce genre de confusion entre dénonciation d'une situation et dénonciation d'une personne.

Le choix qui se pose lorsque quelqu'un veut dénoncer une injustice ne se réduit pas à ces deux choix. Il est possible de dénoncer la situation, la personne ou les deux à la fois.


À la prochaine et bonne chasse aux sophismes!

mardi 11 novembre 2014

Se souvenir de quoi aujourd'hui?

 
Soldats belges, artisanat de tranchée 1914-18 (Wikimedia) 
Extraits du site d'Histoire herodote.net :

Le 9 novembre 1918 au matin, le chancelier Max de Bade téléphone à l'empereur Guillaume II pour lui dire : « Votre abdication est devenue nécessaire pour sauver l'Allemagne de la guerre civile. »  Ce dernier s'y résout et part en exil. (…) L'armistice du 11 novembre marque la fin officielle des hostilités et un traité de paix est signé le 28 juin 1919. (…) La demande d'armistice étant venue de représentants civils et non militaires de l'Allemagne, l'armée allemande échappe à l'infamie de la défaite.  (…) Dans les mois qui suivent l'armistice, les généraux Ludendorff et Hindenburg attribuent la défaite militaire allemande  à un « coup de poignard dans le dos » de la part des politiciens et des bourgeois cosmopolites.

Le 11 novembre 1918 a une forte charge symbolique en occident. Ce fut la fin de la guerre des tranchées, une boucherie humaine sous le signe horrifiant des armes chimiques industrielles. La der de ders, comme on voulait ardemment le croire. La lecture d'écrits sur l'héritage intellectuel du sociologue Norbert Elias m'a appris que l'université de l'entre-deux guerres en Allemagne fut le terrain d'une lutte théorique entre deux rejetons  du socialisme : le courant marxiste et le socialisme national. Ce dernier fut instrumentalisé par le parti nazi pour légitimer son régime raciste et totalitaire et afin de l'aider à reconstruire la puissance militaire allemande. La der des ders était finalement la première des deux guerres mondiales, lorsque le monde tournait encore autour de l'Europe.

Je prends le temps de me souvenir de ceux qui sont morts dans les tranchées. Je me souviens qu'ils étaient tous civils avant d'être militaires. Ils sont morts sous l'effet d'enjeux qui dépassaient l'entendement et qui restent difficiles à cerner, même aujourd'hui.

Je sais qu'il y a de la force en chacun de nous pour lutter contre l'injustice. Cette force peut être mise au service d'une armée, mais elle est d'abord issue des êtres eux-mêmes et des liens sociaux qui les unissent ou les séparent.

La der des ders n'a pas été la dernière. Toutefois le pacifisme qui émerge de l'horreur de la guerre sera toujours une aspiration légitime. Profitons de la remémoration des soldats morts pour nous souvenir de cet idéal. La guerre n'est pas une fatalité pour une société, si ses membres se souviennent de la capacité qu'ils ont de conserver leur pouvoir civil.