lundi 30 mai 2016

Pensée du 30 mai 2016

Lorsque je lis un essai, je m'intéresse aux circonstances dans lesquelles il a été écrit. L'expérience de l'auteur telle qu'il la rapporte et telle qu'on peut la comprendre par l'entremise d'éléments historiques et biographiques sont autant de choses qui permettent de se familiariser avec l'esprit d'une œuvre. On apprécie mieux Platon quand on connaît la guerre du Péloponnèse. On comprend mieux Marx quand on sait qu'il a commenté les débats à la Diète rhénane portant sur le ramassage du bois mort et opposant le droit coutumier à la propriété privée. Comme j'ai le désir de faire œuvre utile, je trouve pertinent de fournir certains éléments biographiques à mon sujet.

Je suis né en 1969 dans une famille dite « nucléaire », c'est-à-dire fortement centrée sur le couple et les enfants et avec des liens plus relâchés avec le reste de la parenté. C'était la première génération de ce type, mes grands-parents maternels étaient cultivateurs et mon grand-père paternel était dentiste dans un village; tous étaient liés à leur communauté par la vie paroissiale catholique. Une « révolution tranquille » avait permis aux Canadiens-français du Québec d'accéder à des positions sociales plus valorisées et de défendre une identité nationale Québécoise. Le souvenir de la deuxième guerre mondiale était encore terrifiant et le développement économique libéralisé semblait annoncer la fin des horreurs de la guerre si seulement l'Occident pouvait gagner la guerre froide contre l'Union soviétique et éviter l'holocauste nucléaire. Les guerres du Moyen-Orient restaient une énigme pour l'enfant que j'étais. J'ai eu la chance de partager cette enfance entre la France et le Québec, une bonne expérience malgré les défis que posaient des perceptions culturelles que les différences rendaient difficiles à interpréter.

Les déracinements fréquents, liés aux impératifs d'emploi de cadre de mon père, m'ont donné une image négative du travail de bureau. Le stress qu'il semblait rapporter du travail était difficile à supporter et je me voyais assumer un rôle d'atténuateur des tensions familiales par l'humour. Ce qui explique sans doute que je me suis donné comme objectif de remplir un rôle social qui participerait au bonheur collectif. Par goût des mathématiques, j'ai d'abord fait des études en actuariat. Puis je me suis lancé en théâtre, pour la communion d'esprit que produit parfois l'art dramatique. Les circonstances m'ont ramené aux mathématiques et je me suis lancé dans la recherche fondamentale, espérant mettre mon plaisir de la réflexion au service de l'édifice de la connaissance.


J'étais donc, en 2010, un scientifique spécialisé dans les graphes eulériens et leurs décompositions en cycles quand je me suis finalement désintéressé de la vie universitaire et que je me suis mis à chercher une autre façon de mettre mes talents à contribution, une façon plus directe et engageante.

jeudi 19 mai 2016

Pensée du 19 mai 2016

Dans moins de 5 mois, il se sera passé cinq ans depuis l'occupation du Square Victoria. Le 15 octobre 2011, des milliers de personnes se rassemblaient au cœur de la place financière de Montréal pour participer à la concrétisation locale d'un mouvement d'appui à Occupy Wall Street. Plus tôt dans l'année, il y avait eu le Printemps arabe et aussi le mouvement du 15 mai, dont les participants sont mieux connus sous le nom des Indignados. L'année suivante, dans ce coin du monde, il y aurait le Printemps érable et, plus tard encore, Idle No More. C'est le temps pour moi de revenir sur mon expérience en tant que participant et de préparer un écrit à l'intention de ceux et celles qui, comme moi, ont mis la main à la pâte et ont tenté de contribuer à un changement des mentalités. Plusieurs livres ont été rédigés à chaud, dans les mois qui ont suivi le mouvement. Ces derniers fournissent de précieux témoignages subjectifs de l'intérieur des mouvements sociaux. Je me situe dans une perspective plus objective, ce qui exige de prendre du recul. C'est pourquoi j'ai graduellement réduit mon implication dans des causes sociales et que je prends maintenant la parole avec une certaine sérénité par rapport aux soubresauts de la vie publique qui sont toujours présents dans la société.

À l'époque, je me suis impliqué avec candeur, sans connaissances en matière d'action sociale, mais avec un bagage scientifique significatif. J'ai dû improviser — un peu comme la majorité des participants — et prendre le temps par la suite de faire les lectures nécessaires à la compréhension de ce qui s'était passé. Je vais tenter de transmettre ce que j'aurais aimé savoir au moment où je me suis impliqué. Il faut donc prendre ce que j'écris comme les conseils d'un ami, mais dont la validité ne doit pas être acceptée sans faire preuve de jugement. J'adopte un style libre, sans plan rigoureux, de façon à profiter de la spontanéité du moment et pour que chaque texte ait une cohérence interne indépendante des autres. Malgré tout, il y a bien une ligne directrice qui est d'être clair et de donner une bonne idée de l'état de mes réflexions en date d'aujourd'hui.

Pour commencer, la notion d'un mouvement social est moderne. On ne parlerait pas aujourd'hui de mouvement sociaux s'il n'y avait pas eu la révolution scientifique amorcée avec la Renaissance. Il a fallu d'abord que s'opère la prise de conscience qu'on pouvait mieux expliquer les phénomènes naturels par des lois logiquement déductibles que par des doctrines protégées contre la critique. C'est ensuite seulement, avec la différenciation de la philosophie politique en sciences économique, politique et sociologique qu'a émergé l'idée de trouver des lois scientifiques pour expliquer l'organisation de la vie humaine. La grande difficulté rencontrée dans ces efforts réside dans la confusion facile à faire entre connaissance scientifique et connaissance pratique. Au fur et à mesure que des théories sont élaborées par les scientifiques, les mentalités changent et l'organisation de la vie humaine s'en trouve modifiée. Nous nous retrouvons dans la situation paradoxale où les changements sociaux sont indissociables de l'évolution des connaissances en matière de sciences sociales. J'en suis venu à penser que les mouvements sociaux sont provoqués par la différence sensible qui existe entre la situation réelle et ce que la société perçoit d'elle-même à travers ses institutions, y compris les connaissances scientifiques. Lorsqu'un certain nombre d'individus constatent une erreur de perception commune et croient que les usages ne permettent pas de la corriger, ils arrive parfois qu'ils se rassemblent publiquement pour remettre en question les institutions concernées, formant ainsi un mouvement social.