jeudi 29 septembre 2016

À propos de l’orientation

Charlie Chaplin dans La Ruée vers l'or
Ce texte fait partie d’un essai en cours de rédaction sur la coexistence. Nous sommes dans la première partie, où une attention particulière est donnée au sens des mots utilisés tout au long de la discussion. Nous avons ouvert avec une conception inhabituelle de ce qu’est un symbole, basée sur la biologie de l’animal humain, et nous sommes en train de préciser la signification qu’ont pour nous certains mots fondamentaux.

Nous avons postulé (ici) que l’être humain est un animal qui utilise des objets d’expression appelés « symboles » pour s’orienter dans son environnement, sans toutefois préciser ce que l’orientation[i] voulait dire. Nous allons tout de suite y remédier en revenant à l’exemple du Soleil.

Grâce à la lumière du jour, les êtres humains sont capables de voir différentes choses qui font partie de leur environnement et pensent, à juste titre, que c’est la lumière du Soleil qui leur permet de se servir de ces choses comme repères et de vaquer à leurs occupations diurnes. Ce que veut dire l’orientation, entre autres choses, c’est l’utilisation par l’être humain de ce qui lui est connu à propos de l’astre solaire pour se repérer. Par exemple, le Soleil se lève le matin à peu près toujours au même endroit à l’horizon et quand il est au plus haut dans le ciel, on est au milieu de la journée. D’ailleurs, le mot « orientation » en français est formé à partir du mot « Orient », dont un des sens les plus communs est de désigner la direction du lever du Soleil. Par extension, l’orientation veut dire aussi l’utilisation de toute chose connue par l’être humain pour se repérer.

Si on convient que le Soleil est un même objet dans toutes les manières qu’ont les êtres humains de s’exprimer à propos de l’astre solaire, peu importe la langue ou le moyen, on peut affirmer sans se tromper que le postulat de départ est bien fondé. Dans ce cas, le Soleil est effectivement un objet d’expression utilisé par les individus pour s’orienter dans leur environnement, pour communiquer entre eux et pour transmettre leurs connaissances portant sur l’astre solaire à leurs enfants. Notons au passage que cette convention à propos du Soleil est rendue explicite en français par la lettre majuscule au début du mot.



[i] Pour une présentation avec exemples du concept d’orientation, voir La philosophie au sens large.

mercredi 28 septembre 2016

À propos de la chose

Poster de Drew Struzan pour le film de John Carpenter 
Nous avons commencé par postuler (ici) que l’être humain est un animal qui utilise les mêmes objets d’expression pour les trois activités que sont : l’orientation de l’individu dans son environnement, la communication entre les individus et la transmission de connaissances de génération en génération. Nous avons donné comme définition de « symbole » tout objet d’expression qui est utilisé de cette façon, ce qui attribue au mot « symbole » dans cet essai un sens général qui recouvre, entre autres choses, les lettres de l’alphabet, les mots et la langue.

Par exemple, si je pense au mot : « Soleil », un ensemble de connaissances concernant le Soleil et que j’ai acquises depuis ma naissance me sont immédiatement accessibles. Je peux aussi prononcer le mot : « Soleil » à une locutrice de la langue française pour communiquer avec elle à propos de l’astre solaire. Et enfin, si je suis le parent d’un enfant, je peux lui apprendre le mot en le lui répétant tout en désignant le Soleil dans le ciel, sur un dessin et partout ailleurs où je le reconnais.

On voit que tout mot de la langue française remplit la définition de « symbole » pour les locuteurs de cette langue. Avant l’introduction de l’écriture, les mots utilisés se présentaient seulement sous la forme de séquences sonores. Avec l’utilisation de caractères écrits composés en séquences de lettres ou de signes pour remplir les mêmes fonctions que les mots sonores, le symbole « mot » est maintenant utilisé indifféremment pour le mot sonore et le mot écrit correspondant.

Certaines expressions du visage sont également des symboles. Le sourire, par exemple, est appris par le nourrisson avant même ses premiers mots. Les émoticônes que l’on ajoute à nos commentaires sur les médias sociaux sont aussi des symboles et sont utilisés pour la communication entre individus d’une manière semblable aux expressions du visage.

Il est inhabituel de considérer la langue comme un symbole. Pourtant, c’en est bien un. Par exemple, un être humain dont la langue maternelle est le français pense en français, communique en français avec les francophones et transmet la connaissance de la langue française à ses enfants. Et étant donné la coexistence de locuteurs de langues différentes, chaque langue se doit d’inclure un mot qui puisse être utilisé pour désigner indifféremment la langue arabe, la langue française, la langue japonaise ou toute autre langue.

La chose est un symbole spécial qui est utilisé pour désigner indifféremment n’importe quoi. En français, on utilise le mot « chose » pour ce symbole. En anglais, on utilise le mot « thing ». Ce symbole est utilisé notamment dans la transmission du sens des mots, par exemple dans la phrase : « Le Soleil est quelque chose de rond, de chaud et de lumineux dans le ciel. »

Avec ces précisions faites, la chose qui nous intéresse dans cet essai, c’est d’approfondir la connaissance de la coexistence.

Pour les soviétiques la coexistence signifiait la tolérance de l’existence de pays capitalistes. Pour l’actuelle Organisation des Nations Unies, la coexistence signifie la coprésence de peuples avec une histoire de conflits sur un même territoire et sans accès de violence. En fait, il y a une préférence marquée de l’utilisation du symbole « coexistence » pour désigner la cohabitation des être humains en dehors des périodes de conflit. Nous allons voir dans la suite qu’en utilisant la coexistence pour signifier indifféremment la coexistence humaine, la coexistence matérielle et la coexistence sociale, on peut dégager des connaissances générales qui apportent un éclairage nouveau sur la coexistence humaine.


jeudi 22 septembre 2016

À propos de la signification

Char solaire de Trundholm, ajouté à Wikimedia par Rainer Zenz
(Ce texte s'inscrit dans le cadre d'un projet énoncé ici.)

Mon intention est d’approfondir la compréhension de la coexistence, tant pour moi que pour le lecteur. En tant qu’être humain qui écrit pour communiquer sa pensée profonde, j’ai recours aux symboles que sont les lettres, les mots, la langue et la philosophie.

Cette affirmation paraît surprenante étant donné qu’on réserve le plus souvent la portée du mot « symbole » aux lettres, aux chiffres et aux opérateurs mathématiques. C’est que je reprends ici à mon compte le postulat de Norbert Elias à l’effet que l’être humain est un animal qui a la particularité d’utiliser les mêmes objets de l’expression pour trois activités : l’orientation de l’individu dans son environnement, la communication entre les individus et la transmission de connaissances de génération en génération. À partir de ce postulat, toute chose qui remplit ces trois fonctions est appelée un symbole, peu importe les catégories auxquelles on a l’habitude de se référer. La difficulté que présente l’usage courant, c’est que les mots et les philosophies sont perçus comme des contenants et des contenus, puisque le sens d’un mot peut varier tandis qu’une philosophie est appropriée comme une connaissance immédiate. Au lieu de ça, je vais considérer les mots, la langue et la philosophie comme des symboles qui sont à des niveaux de composition différents de celui des lettres, mais qui n’ont ni plus ni moins de sens intrinsèque.


Pour illustrer le bien-fondé de ce choix, considérons le symbole : « Soleil ». « Soleil » est un mot qui n’est compris que dans la langue française, mais si je rencontre un être humain dont le français n’est pas la langue, je peux tout de même lui enseigner la fonction d’orientation que ce mot a pour moi en le répétant tout en pointant l’astre du doigt. Plus facilement encore, si nous avons une langue en commun autre que le français, je peux lui expliquer dans cette langue la signification du mot français. Au cours de cette rencontre hypothétique, je pourrais bien m’entendre avec mon interlocuteur sur l’objet de l’échange tout en acceptant qu’il y ait des différences philosophiques entre ma compréhension et la sienne. En effet, je pourrais penser que le Soleil est le char enflammé d’un dieu qui se lève à l’Est et se couche à l’Ouest alors que mon interlocuteur supposerait qu’il s’agit d’une étoile composée d’hydrogène et d’hélium et autour de laquelle la Terre tourne. On pourrait être tenté de donner raison à mon interlocuteur plutôt qu’à moi dans cet exemple, mais il resterait que les deux perceptions coexistent, et c’est là ce qui nous intéresse.

vendredi 16 septembre 2016

Projet d’écriture d’un essai sur la coexistence

Photo de Francesco Bandarin, disponible sur le site de l'Unesco
J’entame avec ce texte la préparation d’un essai sur la coexistence.

La définition brève de : « coexistence », c’est l’existence simultanée. Ce mot relie les deux concepts que sont l’être et l’ensemble.  Son champ sémantique s’étend à la politique et à l’écologie entre autres sciences humaines.

Comme rhétorique politique, la coexistence a été notamment mise de l’avant par Lénine et Khrouchtchev, le premier pour légitimer l’existence d’États socialistes sans la disparition préalable du capitalisme, le second en raison du risque effrayant d’une guerre nucléaire entre l’URSS et les États-Unis[i]. En écologie, la coexistence des espèces est souvent expliquée par l’occupation de niches écologiques différentes à l’intérieur d’un même écosystème[ii], bien qu’on s’intéresse depuis peu à des modèles dits neutres de répartition des individus qui prévoient intrinsèquement la diversité[iii].

Comme le souligne fort bien Louiza Odysseos dans sa thèse de 2001[iv], la coexistence dans le domaine des relations internationales est perçue d’abord et avant tout comme une condition à atteindre pour transcender les conflits au lieu d’être la condition première dans laquelle se retrouvent les entités en présence[v]. Cette signification du mot est attribuable, d’après Odysseos, à la prémisse ontologique moderne qui appréhende le sujet comme une entité autonome dont la constitution précède toute composition avec d’autres[vi].

La question de la coexistence est assurément indissociable de celle de l’existence et des relations entre les êtres qui forment l’ensemble. La première partie de l’essai portera sur les significations choisies, soit la base épistémologique de la discussion. La deuxième partie consistera en une réinterprétation des connaissances acquises. La partie finale sera prospective, réservant une grande place à l’imaginaire.

Pour me communiquer vos commentaires au fur et à mesure de l’avancement de la rédaction, vous pouvez écrire directement à la suite du blogue, qui est lisible de partout, ou bien sur le média social Facebook où le contenu est majoritairement public : facebook point com / dr.fancois.genest. Vous pouvez encore m’écrire en privé à l’adresse : francois point genest à gmail point com.




[i] Pour une critique marxiste-léniniste du mot, voir ce texte du 12 décembre 1963.
[ii] La niche écologique : histoire et controverses récentes, Arnaud Pocheville, Les Mondes darwiniens, vol. 2, Matériologiques, 2011, pp. 897–933.
[iii] « Un modèle neutre décrit une communauté d'individus (appartenant à des génotypes / des espèces), au comportement symétrique, soumise à une apparition de nouveaux types (par mutation / spéciation) et une perte de types par dérive stochastique (…) Typiquement, dans la théorie neutre, la communauté est définie comme un ensemble d’espèces de niveau trophique similaire et les individus sont en compétition symétrique les uns avec les autres. », Arnaud Pocheville, ibid.
[iv] Exploring the ontological basis of coexistence in international relations : subjectivism, Heidegger, and the heteronomy of ethics and politics,  Louiza Andreou Odysseos, University of London,  2001.
[v] “It has remained, to this day, a certainty that ‘coexistence’ is the condition or state that surpasses conflict, but not the primary condition in which entities find themselves. Rather, it is considered to be a state that must be actively, and secondarily, brought about.”, ibid, p. 10.
[vi] “Within this larger theoretical context, the modern subject is generally understood as a completed self, already fully constituted when it ‘enters’ into relations with others, relations that are considered ontologically secondary to the subject itself.”, ibid, p. 7.

vendredi 9 septembre 2016

Pensée du 9 septembre 2016

Nous n’avons pas encore appris à faire face aux contradictions flagrantes de notre époque. Nous savons déjà que les êtres humains sont capables de coexister de manière plus civilisée, mais nous ne savons pas comment y parvenir dans la réalité de notre vie collective — ou nous ne le savons tout au plus que par intermittence. Nous savons seulement qu’un grand pas sera fait lorsqu’on aura réussi à établir un meilleur équilibre entre la maîtrise de soi et l’accomplissement de soi, mais nous sommes toujours en quête d’un ordre social stable qui garantisse un tel équilibre. Cela ne devrait pas être hors d’atteinte de l’humanité au cours des millénaires à venir.
Norbert Elias, Théorie des Symbole, édition française, 2015.
C’est ainsi que se termine le livre que préparait le sociologue Norbert Elias lorsqu’il est mort en 1990. Cet extrait donne tout de suite une idée des échelles de temps avec lesquelles Elias pensait le social. Bien qu’on m’ait dirigé vers cet auteur il y a peu de temps[i], j’ai reconnu assez vite qu’il y a dans l’œuvre d’Elias une contribution scientifique importante à la compréhension des sociétés humaines. Je ne prétends pas maîtriser ses idées, je rapporte ici ce que j’en comprends à ce jour.

Elias établit une distinction claire entre le processus d’évolution biologique qui a fait apparaître l’espèce animale homo sapiens du processus de développement social qui est à l’œuvre dans les sociétés humaines. Contrairement au processus d’évolution qui agit sur des temps très longs et dont l’objet est l’espèce (et donc fortement associé à la structure génétique des organismes), le processus de développement social agit sur des temps moins longs et son objet est la communauté humaine qui partage un fonds de symboles remplissant simultanément trois fonctions : l’orientation des êtres dans leur environnement, la communication entre les êtres et l’accumulation de connaissances transmissibles de génération en génération (et donc fortement associé à la langue de la communauté).

Pour Elias, les sciences sociales requièrent de la part des chercheurs une attitude qui relève à la fois de l’engagement et de la distanciation. La distanciation est nécessaire puisque la recherche se fait en puisant dans le même fonds de symboles que celui de l’objet d’étude. La tendance observable en recherche est qu’il y a une spécialisation du langage scientifique selon les disciplines. Ce que propose Elias, c’est d’étendre le cadre de référence à des temps très longs et de considérer les phénomènes dans la durée. Ceci implique d’accorder moins de pouvoir explicatif aux modèles statiques des structures sociales. Pour ce qui est de l’engagement, je crois comprendre que c’est un souci particulier pour le travail de synthèse, que la spécialisation rend difficile aux niveaux plus élevés.

Je ne crois pas qu’Elias s’en soit rendu compte, mais lorsqu’il représente symboliquement la société comme une suite de configurations, il emploie l’objet mathématique qu’on appelle dans ce domaine un graphe, c’est-à-dire un ensemble de sommets (les individus, dessinés par des points) et un ensemble d’arêtes (les relations binaires, dessinées par des lignes reliant un point à un autre point). En modélisant la société de cette façon, Elias met l’emphase sur les relations entre les individus plutôt que sur les individus eux-mêmes, s’éloignant du modèle usuel qui oppose l’individu à la société et qui occulte de ce fait la structure sous-jacente.

Une mise en garde s’impose quand à la notion du processus de civilisation, qu’Elias a mis en évidence en étudiant les sociétés médiévales et leurs manuels de bonnes manières. Il ne faut pas penser qu’on peut tirer de cette notion un projet de civilisation. L’impérialisme et la colonisation sont des phénomènes sociaux qui s’accompagnent toujours d’une justification symbolique synonyme d’un progrès social. Le processus de civilisation d’Elias est un développement social réversible, soit un concept purement scientifique, dont le pouvoir explicatif est pour l’instant indissociable du cadre théorique développé par Elias et les sociologues de son école.

En tout et pour tout, on se souviendra de Norbert Elias comme d’un penseur majeur du XXème siècle. Pour ma part, j’arrive à un stade important de mes réflexions. C’est le temps pour moi de me détacher de mes lectures et de proposer quelque chose d’original.


[i] Merci à Pierre-Jean Simon pour une correspondance en 2014.