mardi 14 février 2017

Les fondements de la perception

Rappel : L’être humain se repère dans son environnement notamment à l’aide de ses organes sensoriels. Il fait l’expérience de sensations par ces organes et il fait l’expérience de concepts par sa pensée. La perception est ce qui généralise la sensation et la conception.
René Magritte, artiste-peintre, source Wikimedia
Imaginons un homme en train de se promener dans une forêt inhospitalière au crépuscule. Tout à coup, l’homme se fige et toute son attention se porte sur un bout de bois tordu qui dépasse des herbes et qu’il a pris pour un serpent. À cause de la pénombre, il ne peut pas tout de suite se rendre compte de son erreur et il pense vraiment que le bout de bois est un serpent. Immédiatement son corps se met en alerte afin de se défendre ou de s’enfuir devant la menace perçue. Bien au chaud, entouré de ses amis, il racontera plus tard comment il a cru voir un serpent qui s’est révélé au bout d’un moment n’être qu’un simple morceau de bois.

Cette histoire illustre bien le rôle essentiel des sens dans la perception. Si l’homme n’avait pas vu le bout de bois, il n’aurait pas pu le prendre pour un serpent. En revanche, il aurait pu tomber sur un vrai serpent qu’il aurait correctement identifié comme un danger. Étant un être humain, il a l’avantage de pouvoir employer des symboles pour raconter son expérience plus tard à ses amis. Mais même sans cette capacité de communiquer, d’autres animaux démontrent la même propension à percevoir des êtres animés ou inanimés dans leur environnement et à réagir en fonction de ce qu’ils perçoivent.

Dans la pratique de la méditation, on commence souvent en portant attention aux sensations premières qui proviennent des sens. Par exemple, la sensation de l’air qui entre et sort des narines pendant la respiration est une chose à laquelle on ne pense d’ordinaire jamais mais à laquelle il est facile de s’attarder lorsqu’on a pris une pose méditative et calmé notre esprit.

La dernière fois, nous avons choisi de prendre comme base de la perception les interactions issues de la coexistence. Dans l’histoire du promeneur, les êtres comprennent, entre autres, l’homme, le bout de bois et les amis à qui l’homme raconte son expérience. Ce qui n’est pas dit, c’est comment l’homme s’est trompé et a pris le bout de bois pour un serpent. Même s’il a bel et bien cru voir un serpent, on comprend que c’est en apercevant le bout de bois grâce à la vision que lui procurent ses yeux que l’homme a d’abord eu la possibilité de se tromper. Ensuite seulement la disposition du bout de bois partiellement dissimulé dans les herbes et difficile à distinguer dans la pénombre a donné à l’homme l’illusion d’un serpent. Cette illusion se produit évidemment dans l’esprit du protagoniste et non dans son environnement, pourtant cet aspect de son expérience lui échappe complètement tant et aussi longtemps qu’il ne s’est pas rendu compte de son erreur.

La langue d’usage commun — au moins le français — ne permet pas de distinguer, sans autres informations, si un être sensible veut dire l’être qui perçoit ou l’être qui est perçu. Il s’agit peut-être là d’une sagesse puisque le serpent est bel et bien considéré existant par le promeneur dans les bois, ne serait-ce que pour pouvoir ensuite se rendre compte de son erreur. En racontant son expérience à ses amis, il se trouve que l’homme dit qu’il a cru voir un serpent. Il importe peu à ce moment de l’histoire de savoir si le serpent est réel ou une illusion. Puisque nous sommes dans le cadre d’une réflexion sur la coexistence et que ce qui nous intéresse ce sont les sensations et les perceptions de l’être humain, il est naturel de suivre l’usage courant et de ne pas présumer que l’être sensible est précisément ce qui perçoit ou ce qui est perçu. Ce qui importe, c’est de savoir qu’il est question de perception. Dans notre exemple, le serpent peut correctement être désigné comme un être sensible puisqu’il est perçu par le promeneur, même si par la suite il se révèle n’être qu’une illusion.

En suivant cette façon de concevoir l’existence sensible, nous en arrivons à définir un ensemble de perceptions, lesquelles peuvent parfois être illusoires, mais qui se conçoivent bien, soit comme des expériences directes des sens ou soit comme des expériences de l’esprit. En prenant les perceptions directes des sens comme sous-ensemble nécessaire, on construit le reste de l’ensemble de manière à ce qu’il soit complet et bien défini, sans chercher à en faire une description exhaustive. De cette façon, nous avons établi un fondement solide pour désigner et comprendre la perception.